Aujourd’hui s’ouvre une série de dimanches comportant sept paraboles du Royaume en saint Matthieu. Un moment décisif où survient comme une crise de découragement au sein du groupe des disciples et peut-être aussi en Jésus lui-même. Sa prédication ne semble guère avoir porté des fruits, pas plus que ses miracles. L’incrédulité des juifs est tenace et résistante. Lui-même et ses disciples savent qu’il est menacé de mort. Face à ce rejet, Jésus se met à parler aux foules en paraboles. Ce sont des récits originaux, imagés, faciles à comprendre au premier degré par les gens « de 7 à 77 ans » ! Mais porteurs d’un message ou révélateurs d’un mystère à interpréter par chaque auditeur. La première parabole rapportée par l’Évangéliste est celle du Semeur.
Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord du lac.
Une foule immense se rassembla auprès de lui,
si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit ;
toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles :
« Voici que le semeur est sorti pour semer. Comme il semait,
des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger.
D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ;
ils ont levé aussitôt parce que la terre était peu profonde.
Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché.
D’autres grains sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés.
D’autres sont tombés sur la bonne terre, et ils ont donné du fruit
à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
Suit un long enseignement de Jésus à ses disciples à partir de ce qu’avait annoncé Isaïe au sujet du mauvais accueil de la Parole de Dieu par Israël. Dans le chapitre 11, Jésus vient de déclarer : Jean Baptiste est venu, vous l’avez rejeté. J’ai joué de la flûte, vous n’avez pas dansé. Malheureuses villes de Galilée, vous ne vous êtes pas converties après les miracles que vous avez vus, vous serez jugées avec la plus extrême rigueur.
Si je leur parle en paraboles, dit Jésus aux disciples,
c’est parce qu’ils regardent sans regarder,
qu’ils écoutent sans écouter et sans comprendre.
Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe :
« Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille,
ils se sont bouché les yeux,
pour que leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n’entendent pas,
que leur cœur ne comprenne pas, et qu’ils ne se convertissent pas.
Sinon, je les aurais guéris ! »
Ce n’est sans doute pas par hasard que cette parabole est la première des sept dans le chapitre 13 de saint Matthieu. Jésus n’est-il pas celui qui est venu semer la parole ? Il l’a fait à temps et à contre temps, mais elle a reçu des accueils très divers. Le bord du chemin, le sol pierreux, les ronces l’ont empêchée de porter du fruit. Seule la bonne terre a produit une bonne moisson. Dans l’Évangile de Matthieu, les disciples sont cette bonne terre. « Mais vous, leur dit-il, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! » Grâce aux commentaires et aux actions de Jésus, ils comprennent que rien ni personne n’empêchera le succès de sa mission : ni le Mauvais (premier terrain), ni les hommes agressifs (deuxième terrain), ni les hommes séduisants (troisième terrain). Ils comprennent que la parole de Jésus, minuscule comme une semence, mêlée à sa propre vie, conduit à un rendement extraordinaire de vie spirituelle. Retenons de cette parabole des appels à la largesse, à la persévérance et à la patience.
A la largesse d’abord. « A semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement, on récolte largement » (2 Co 9, 6). Il faut semer avec abondance et largesse. Comme le semeur qui, avec son geste auguste, « marche dans la plaine immense, va, vient, lance la graine au loin, rouvre sa main, et recommence » (V. Hugo). A l’image de Dieu, quand il crée et donne la vie. Surabondantes sont ses semailles pour qu’aussi soient surabondantes les moissons. Il ne craint pas les pertes possibles. La Bonne Nouvelle est pour les foules, les multitudes. Qui peut dire qu’elle ne va pas rencontrer chez les uns et les autres un petit coin de bonne terre, et germer à son heure ? Les semeurs parcimonieux trahissent la largesse du Père. Et quand on a semé avec largesse, donné sans compter, on ne doit pas pleurer parce que les trois quarts de ce qu’on avait investi se sont perdus, mais se réjouir parce que le quart de ce qu’on a dit a trouvé une bonne terre où le rendement a été au-delà des espérances. Cent pour un ou trente pour un, c’était un rendement inouï pour l’antique agriculture de la Palestine. Et ce n’est pas parce que la récolte a été décevante qu’il faut arrêter de semer.
Il faut aussi semer sans réduire le lieu des semailles à un enclos de bonne terre où l’on a des garanties de bonnes récoltes. Romano Guardini, un auteur spirituel du 20e s. a commenté le geste du semeur de deux manières. « Le semeur ne jette pas tous les grains à la même place, écrit-il. Car alors, ils pourriraient et ne germeraient pas, et ceux qui germeraient s’étoufferaient l’un l’autre. On peut aussi noter, écrit-il encore, que le messager de Dieu sème du grain, quelque chose de vivant, qui peut donner des racines, se développer, porter du fruit. Ce qui vient de Dieu n’est pas une chose achevée, mais au contrairement un commencement et le grain peut avoir des formes diverses : une phrase, un événement, une rencontre. Les choses de Dieu ne viennent pas comme des résultats achevés, mais comme des commencements pleins de vie, qui vont se développer de forme en forme, étape par étape. »
Cette parabole invite aussi à la persévérance et à la patience. Elle appelle à donner du temps au temps. Ce qui est peu respecté dans un monde où règne la recherche de l’efficacité immédiate, de la rentabilité que l’on appelle aujourd’hui « retour sur investissement ». Quand il s’agit de la foi, de l’accueil et du travail de la Parole de Dieu en chaque personne, il est important de respecter une mesure à trois temps.
Le temps des semailles d’abord. Il suppose la confiance et le désir de donner avec gratuité. Un temps que l’on peut vivre dans la joie mais parfois aussi dans les larmes. Comme l’a écrit le poète Erri de Luca, « les larmes peuvent être une semence. L’expérience d’affliction peut être un temps précieux. Les larmes qui tombent à terre font le même voyage que les graines. Les larmes peuvent tomber dans un sillon fertile. Dans le malheur, la créature humaine peut croire à sa peine comme le paysan à la semence. » Comme le chante le psaume 125 : « Il marche tout en pleurant, celui qui porte la semence des semailles, puis il revient avec des cris de joie, quand il porte ses gerbes. »
Vient ensuite le temps de la germination et de la croissance. Sa durée est des plus variables quand il s’agit d’amour, de sagesse, de foi. Elle dure parfois plusieurs saisons ou plusieurs années, et même toute une vie, à mesure que surviennent des changements, des bonheurs ou des malheurs imprévus. A mesure aussi que l’Esprit Saint travaille en chacun. Selon que la Parole de Dieu se présente à lui sur la terre bien cultivée de sa vie, sur le bord de son cœur, sur le sol endurci de son être où plus rien ne prend racine, sur l’étouffant encombrement de ses occupations futiles et de ses soucis inutiles. S’adressant aux chrétiens de Rome, saint Paul compare la vie chrétienne à un temps de germination et d’attente d’un enfantement.
Frères, j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure
entre les souffrances du temps présent
et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous.
En effet, la création aspire de toutes ses forces
à voir cette révélation des fils de Dieu.
Car la création a été livrée au pouvoir du néant, non parce qu’elle l’a voulu,
mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir.
Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage,
de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu.
Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance,
elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.
Et elle n’est pas seule. Nous aussi nous crions en nous-mêmes notre souffrance ;
nous avons commencé par recevoir le Saint-Esprit,
mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps.
Vient enfin le troisième temps qu’on peut appeler le « troisième jour » comme en parle la Bible, celui des récoltes, des moissons, et de la cueillette des fruits. Le temps des illuminations et des consolations, le temps des renouveaux et des résurrections. Ce que proclame le prophète Isaïe ce dimanche à l’adresse des exilés en attente de délivrance et de réalisation de leur espérance nous réconforte encore aujourd’hui. Dieu a créé le monde par sa parole et le recrée encore aujourd’hui.
Ainsi parle le Seigneur : La pluie et la neige qui descendent des cieux
n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer,
pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange ;
ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat,
sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission.
Informations supplémentaires
Evangile:selon saint Matthieu Mt 13, 1-23
Source: diocese-quimper.fr