C’est une longue histoire d’amour entre Dieu et l’humanité que nous raconte le Livre de la Bible. Elle n’a rien d’un roman à l’eau de rose. Elle rapporte souvent les infidélités du peuple de l’Alliance vis-à-vis de Dieu, son combat contre le mal dont il ne sort pas toujours vainqueur. Alors que Dieu parle inlassablement de paix, d’amour de justice, Israël, de génération en génération, se laisse séduire et asservir par d’incessantes rivalités face à l’avoir, au pouvoir, au savoir. Toutes choses bonnes en elles-mêmes, mais qui peuvent donner lieu à des convoitises, à des endurcissements des cœurs, à de l’injustice, de la haine, de l’oppression et de la guerre. La Bible présente une longue succession de prophètes, d’hommes et femmes justes et pacifiques, choisis, appelés par Dieu pour rappeler sa volonté. Beaucoup sont rejetés, persécutés par le peuple à qui ils rappellent sa vocation de servir la justice et la paix et de faire connaître le projet du cœur de Dieu pour toutes les générations humaines.
On a pu considérer que « peuple élu », ou personne choisie, voulait dire peuple ou personne privilégiés, sauvés au milieu d’un monde mauvais et perdu, préférés par
Dieu à l’exclusion d’autres qui n’ont pas cette chance. Il n’en est rien. Quand Dieu adresse un appel à une personne ou un peuple c’est pour un envoi en mission dans le monde qu’il aime, mais qui
a souvent la nuque raide et fait la sourde oreille. Quand il confie une charge à ses envoyés, il leur demande davantage qu’aux autres et même parfois leur force la main. L’une des grandes figures
des justes persécutés dans le premier Testament est celle de Jérémie. Il a dénoncé les infidélités d’Israël à l’Alliance, ses soifs de pouvoir et de domination, ses pratiques injustes, et il lui
a annoncé des jours de malheur, qui vont d’ailleurs se réaliser par le massacre et la déportation à Babylone. La première lecture de ce dimanche est une prière de Jérémie, persécuté comme
le sera Jésus. Il se lamente mais garde confiance en Dieu.
Moi Jérémie, j'ai entendu les menaces de la foule :
« Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, l'homme qui voit partout la terreur ! »
Mes amis eux-mêmes guettent mes faux pas et ils disent :
« Peut-être se laissera-t-il séduire...
Nous réussirons, et nous prendrons notre revanche ! »
Mais le Seigneur est avec moi, comme un guerrier redoutable :
mes persécuteurs s'écrouleront, impuissants.
Leur défaite les couvrira de honte, d'une confusion éternelle, inoubliable.
Seigneur de l'univers, toi qui scrutes l'homme juste,
toi qui vois les reins et les cœurs,
montre-moi la revanche que tu prendras sur ces gens-là,
car c'est à toi que j'ai confié ma cause.
Chantez le Seigneur, alléluia ! Il a délivré le pauvre du pouvoir des méchants.
Dans le passage de l’épître aux Romains que nous lisons ce dimanche, saint Paul rappelle que dès l’origine s’affrontent en l’homme les forces du mal et les forces du bien.
Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde,
et que par le péché est venue la mort ;
et ainsi, la mort est passée en tous les hommes,
étant donné que tous sont pécheurs.
Mais il n'en va pas du don gratuit comme de la faute.
En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul,
combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude,
cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus-Christ.
Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul,
la mort a établi son règne, combien plus,
à cause de Jésus-Christ et de lui seul,
régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance
le don de la grâce qui les rend justes.
Pas de commune mesure écrit saint Paul entre le péché de l’humanité première et la grâce dont Dieu comble la multitude en Jésus-Christ sauveur. Le péché de l’homme est
semblable à « une étincelle tombant dans l’océan d’amour de Dieu », comme l’a écrit Jean Chrysostome.
Dans l’Évangile de dimanche dernier, devant les foules fatiguées, abattues, Jésus appelait Douze compagnons et les envoyait guérir, soulager, apporter la paix. Il leur disait
ensuite comment se comporter par rapport à ceux qui les accueilleraient et ceux qui les rejetteraient. Il s’attarde aujourd’hui sur les persécutions qui les attendent. Deux aspects sont soulignés
dans l’Évangile.
Jésus disait aux douze Apôtres : « Ne craignez pas les hommes ;
tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu.
Ce que je vous dis dans l'ombre, dites-le au grand jour ;
ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les toits.
Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l'âme ;
craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne
l'âme aussi bien que le corps.
Est-ce qu'on ne vend pas deux moineaux pour un sou ?
Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille.
Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte :
vous valez bien plus que tous les moineaux du monde.
Celui qui se prononcera pour moi devant les hommes,
moi aussi je me prononcerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux.
Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai
devant mon Père qui est aux cieux
Nous venons d’une longue époque où la religion catholique dans de nombreux pays s’affichait au grand jour, était omniprésente. Mais parler au grand jour et proclamer sur les toits c’était surtout l’affaire des ministres ordonnés plus que des baptisés. « Aux seuls pasteurs, écrivait le pape Léon XIII en 1885, il a été donné tout pouvoir d'enseigner, de juger, de diriger ; aux fidèles il a été imposé le devoir de suivre leurs enseignements, de se soumettre avec docilité à leur jugement et de se laisser par eux gouverner, corriger, conduire au salut. »
Les baptisés ne se sentaient guère engagés à témoigner personnellement de l’Évangile et de leur foi. L’apostolat des laïcs est une préoccupation qui s’est manifeste au moment
où se sont passés les grands décrochages et séparations entre l’Église et la société. C’est le Concile Vatican 2 et tous les changements de la situation de l’Église dans une société sécularisée
qui ont amené à considérer la mission des baptisés comme un apostolat. Les invitant à proposer la foi de manière plus explicite, et à ne pas la vivre seulement dans l’ombre, la confidentialité,
mais au grand jour. Ce qui suppose de leur part des conversions de mentalité et de comportement. Nous pouvons en signaler quelques-unes.
Il est nécessaire aujourd’hui plus que jamais d’acquérir une capacité personnelle de rendre compte de sa foi ; d’en comprendre le sens et les enjeux, d’en parler et de
dire qui est le Dieu en qui l’on croit. Cela est vrai pour tous et surtout pour ceux et celles qui reçoivent dans l’Église des missions importantes. La manière dont on vit sa foi doit être
cohérente avec ce à quoi on croit. Évangéliser ce n’est pas seulement crier sur les toits ou dans les rues, c’est aussi et surtout témoigner de la foi en Jésus-Christ et d’une manière évangélique
de vivre sa vie. Les premiers chrétiens rendaient témoignage au milieu du monde, non seulement par leurs prises de parole, mais aussi par leurs pratiques sociales de partage et de respect de
tous.
Saint Pierre les exhortait aussi à « n’avoir pas honte » de porter le nom de chrétiens, et il leur écrivait : « Soyez prêts à rendre compte avec douceur et
respect de votre espérance ». (1 P 3 et 4,16). Douceur et respect et non pas violence et condamnation. Le verbe croire n’aime ni les impératifs ni les tons autoritaires. On n’annonce pas la
bonne nouvelle d’être aimé de Dieu comme on prononcerait un diktat, comme on proférerait des menaces, ou comme on recruterait par la force. Propagation oui mais propagande non.
Face à une certaine arrogance de l’Église catholique dans ses manières de s’exprimer, de condamner, de régenter, a pu s’installer chez certains de ses membres un complexe, une
honte, vis-à-vis de leur entourage, face à un rejet dans certains milieux de la société où se dire « catho » est ringard et tout le contraire d’un titre de gloire ! Un complexe qui
s’atténue heureusement. Laissons-nous imprégner par le message de Paul aux Romains : « Ne le savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus,
c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême. […] Nous avons été mis au tombeau avec lui, pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance
du Père, est ressuscité d’entre les morts. »
Informations supplémentaires
- Evangile: selon saint Matthieu - Mt 10, 26-33