Impossible, cette année, de nous rassembler dans nos églises pour les fêtes pascales ! Nous avons pu vivre cependant une communion spirituelle en partageant la même Parole de Dieu et la même prière. Et cela sur toute la planète, dans nos paroisses, nos communautés, nos familles, entre amis et grâce à la radio, la télé, internet… Nous avons vécu aussi et nous vivons encore de manière intense une communion avec nos frères et sœurs en humanité, en traversant ensemble de lourdes épreuves et en étant appelés à donner le meilleur de nous-mêmes. En ce dernier dimanche du mois de mai nous voici enfin un peu libérés pour la fête de Pentecôte.
Saint Jean a relié au récit de la Passion et de la mort de Jésus, celui de l’effusion de l’Esprit Saint sur ses apôtres et de sa première parole de ressuscité. Nous lisons le même Évangile que celui du 2ème dimanche de Pâques.
Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Une très rude épreuve pour les disciples de Jésus. Leur maître et ami a été arrêté, condamné injustement à la mort sur une croix. Eux-mêmes se sont sentis rejetés, humiliés et menacés de subir le même sort que lui. Leur rassemblement les aide à se soutenir mutuellement et à vaincre la peur. Confinés dans une maison, ils ont verrouillé leurs portes. « II était là au milieu d’eux », écrit saint Jean. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux », leur avait promis Jésus. Une présence de sa personne ressuscitée, vraiment réelle bien que différente de celle d’avant sa mort. C’est désormais dans le corps ecclésial de ses disciples rassemblés que Jésus est réellement présent, comme le proclamera saint Paul. Et cette présence réside « au milieu d’eux » et aussi dans le cœur de chacun. Elle se manifeste comme un souffle vital, celui de l’Esprit Saint, le même que celui qui reposait sur Jésus au jour de son baptême, au moment où il inaugurait sa mission dans la synagogue de Nazareth. Être seul et confiné peut conduire au désespoir. Au milieu d’un groupe d’amis, d’équipiers, peuvent surgir un réconfort, une énergie, une espérance. C’est aussi quand ils se rassemblent en Église que les disciples de Jésus reçoivent le souffle de son Esprit Saint.
L’événement de Pentecôte rapporté par saint Luc aujourd’hui est éloigné dans le temps, par rapport à la mort de Jésus. Le groupe des Douze s’est reconstitué et n’est plus isolé. Au cours d’une assemblée plénière, ils sont au nombre symbolique de cent-vingt (12 fois 10) lorsque l’Esprit descend sur eux, et les conduit à se manifester à la foule nombreuse et cosmopolite rassemblée à Jérusalem.
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux
entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. […]
tous ils les entendaient parler dans leurs langues des merveilles de Dieu. »
Ils étaient tous dans la stupéfaction et la perplexité, se disant l’un à l’autre :
« Qu’est-ce que cela signifie ? »
Deux images fortes pour présenter l’irruption de l’Esprit Saint. D’abord celle du souffle d’un vent violent qui remplit toute la maison où se trouve réunie l’assemblée des disciples. D’habitude, le vent ne souffle pas dans les maisons. Les murs servent à se protéger contre lui. Mais l’événement de Pentecôte transforme la maison-Église en temple de l’Esprit, en maison du vent, et d’un vent violent. Voilà qui peut interroger toutes les assemblées chrétiennes. Ne sont-elles pas peut-être trop soucieuses de se confiner et se protéger contre le vent ? Ou bien encore trop habituées à la « pétole » ce calme plat et ce manque de ce vent désespérant pour les voiliers et les éoliennes, ou ce manque d’air étouffant par temps d’orage ?
Quel vent souffle sur elles quand elles entendent la Parole de Dieu ? Quels coups de vent ou quelles brises fraîches viennent réveiller leurs cœurs ? Quelles idées neuves pour mieux servir l’Évangile germent dans leurs têtes ? Sont-elles bouleversées par ce qu’elles entendent, comme l’étaient les cœurs des personnes qui écoutent le propos des apôtres quand ils témoignent à Jérusalem, des paroles et des gestes de libération de Jésus le Galiléen, et de sa résurrection, lui sur qui reposait l’Esprit de Dieu. Les foules d’aujourd’hui sont-elles stupéfaites de les entendre, comme l’étaient les pèlerins de Jérusalem à l’écoute des disciples du Christ ?
Saint Luc parle d’un feu unique, commun à tous, mais qui se partage et se pose sur chacun d’eux. Tous sont remplis d’un même et unique Esprit et cependant tous parlent d’autres langues que leur langue habituelle. Jamais ils n’avaient parlé, n’avaient osé parler de cette manière.
Dans un groupe, une famille, une communauté, dans l’Église aussi, on peut être habitué à s’exprimer toujours de la même manière, à entendre les autres réagir de même. On sait d’avance ce qu’ils vont dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire. Et puis un jour, survient un événement imprévu, une terrible épreuve ou une grande joie. Surprise et déblocage. Les relations changent. Chacun découvre ou retrouve un langage singulier. Il porte un regard neuf sur sa vie, sur le monde qui est le sien. Il ose affirmer son point de vue personnel pour dialoguer ou révéler le meilleur de lui-même. Il ose vaincre les pressions de conformité, ne plus refouler ce qu’il avait envie de dire et qu’il avait peur de dire... depuis si longtemps. Il s’était habitué à sa langue de bois.
Chez les disciples s’allume le feu de l’Esprit, celui de Jésus, qui a osé lui aussi parler une langue de feu, celle d’un homme brûlant de l’amour du Père. Une langue qui faisait brûler le cœur de ses amis. Elle dénonçait et dérangeait, mais aussi elle libérait et appelait à jeter un regard nouveau sur la vie sociale et religieuse. Elle faisait surgir chez ses auditeurs un désir de changer et de servir.
Le feu de l’Esprit de Jésus ressuscité se communique à chacun des disciples, et en même temps à tous ses disciples. Il se communique même à toutes les nations qui sont sous le ciel énumérées dans le texte, celles que l’on connaissait à l’époque. De manière mondiale. L’Église naît comme Église de la Parole libre, diverse et riche de toutes les couleurs des paroles libérées de chacun. Voilà la nouveauté de Pentecôte. Une stupéfaction de tous, maintenant, de s’entendre parler comme le Christ l’unique langage de l’amour et de la libération. Stupéfaction de la foule. Le christianisme, une religion qui délie les langues, qui transforme les langues de bois en langues de feu. Une religion qui parle un langage que tous comprennent dans leur langue maternelle, qui trouve résonance au plus profond d’eux-mêmes. Ce langage de la bonté que tout être humain garde au cœur et qui n’attend que d’être réveillé. “Jamais homme n’a parlé comme cet homme” (Jn 7, 46), disaient les gardes qu’avaient envoyés les grands prêtres et les pharisiens pour arrêter Jésus et qui le laissèrent en liberté.
La Pentecôte est une fête de communion dans le même Esprit Saint, mais de pluralisme aussi. Dans la première lettre aux Corinthiens, saint Paul insiste sur l’importance de la diversité des charismes, des dons, des manières de s’exprimer dans l’Église. Une diversité de manifestations de l’unique Esprit de Pentecôte.
« Frères, sans le Saint-Esprit, personne n'est capable de dire :
« Jésus est le Seigneur. »
Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit.
Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur.
Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous.
À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ.
C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous,
Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
Nous vivons un temps de crise inattendue. La fête de Pentecôte trouve en nous cette année une résonance particulière car nous avons besoin de recevoir un souffle nouveau. Les portes de nos confinements se sont déverrouillées et nous voici appelés à parler des langues nouvelles. À retrouver nos langues maternelles de membres de la même humanité. À entreprendre des œuvres de fraternité et de justice, en toute modestie et humilité. À quitter nos rêves de dresser sur notre planète des tours de Babel de domination et d’uniformisation. À devenir athées de nos divinités techniques ou autres, et cesser de « bâtir des villes, avec une tour dont le sommet soit dans les cieux » (Gn 11,4). À « ne pas courir après la mort en dévoyant notre vie, et à ne pas attirer la catastrophe par les œuvres de nos mains » (Sg 1,12). À redécouvrir le mystère de la vie et de l’amour, la beauté de la création. À ouvrir nos cœurs aux dons de l’Esprit Saint : La crainte de Dieu, la piété, la connaissance, la force, le conseil, l'intelligence, la sagesse.
Informations supplémentaires:
Evangile: selon saint Jean - Jn 20, 19-23
SOURCE: www.diocese-quimper.fr