Dès ses commencements, l’Eglise a connu des crises. Entendons par ce mot, des moments critiques où surviennent des événements imprévus, des situations nouvelles qui peuvent provoquer des chocs graves ou bénéfiques, et qui nécessitent des réformes, des décisions, des innovations. Après la mort de Jésus, dans les Actes des apôtres, il fallait remplacer Judas au sein des Douze. Plus tard, dans la communauté chrétienne de Jérusalem survient une division entre chrétiens de culture juive et ceux de culture grecque. Comment celle-ci va-t-elle être gérée ? Comment les Douze vont-ils procéder ?
En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait,
les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque,
parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien.
Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent :
« Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables.
Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous,
des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse,
et nous les établirons dans cette charge.
En ce qui nous concerne, nous resterons assidus
à la prière et au service de la Parole. »
Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit :
Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore,
Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas,
un converti au judaïsme, originaire d’Antioche.
On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié,
ils leur imposèrent les mains.
L’Eglise naissante fait l’expérience de différences culturelles entre ses membres, engendrant des pratiques injustes. Au lieu de régler le problème entre eux, les Douze agissent autrement. Tous ont reçu le même Esprit Saint et l’égalité règne entre les membres baptisés. Ce qui concerne tout le monde ne peut donc être réglé sans l’avis de tout le monde. Les Douze convoquent une assemblée générale. Ils présentent la situation. Puisqu’il y a un besoin nouveau, il faut créer un ministère nouveau, un nouveau poste en quelque sorte. La démarche que l’on ferait aujourd’hui serait peut-être réglée d’en haut par des décisions et nominations de la part de la hiérarchie ou des appels à candidature. Il n’en est rien. Ils invitent tout le monde à chercher qui ferait l’affaire. « Cherchez parmi vous des hommes et nous les établirons dans cette charge ». C’est donc à toute l’assemblée de chercher, de trouver des personnes, de les appeler (i-e au sens propre, d’accomplir une vocation) et de les proposer aux Douze. Ceux-ci écoutent les propositions, donnent leur avis, choisissent, prient, imposent les mains aux nouveaux appelés. Ils sont « établis dans une charge », que l’on appellera plus tard un « ordre ». Voilà une manière de faire assez démocratique qui peut encore inspirer le fonctionnement de nos communautés en bien des circonstances. A besoin nouveau, charge nouvelle.
L’extrait de la lettre de Pierre de ce dimanche est très connu, et souvent cité dans les écrits du Concile Vatican 2.
Frères, approchez-vous du Seigneur Jésus :
il est la pierre vivante rejetée par les hommes,
mais choisie et précieuse devant Dieu.
Vous aussi, comme pierres vivantes,
entrez dans la construction de la demeure spirituelle,
pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels,
agréables à Dieu, par Jésus Christ.
En effet, il y a ceci dans l’Écriture :
Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ;
celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte.
Ainsi donc, honneur à vous les croyants,
mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle,
une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche.
Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole,
et c’est bien ce qui devait leur arriver.
Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal,
une nation sainte, un peuple destiné au salut,
pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés
des ténèbres à son admirable lumière.
Le premier mot de Pierre quand il parle du Christ, c’est le mot “vivant”. Il est la vie, il est vivant, il fait vivre. Puis Pierre rappelle deux citations de l’Ancien Testament rappelant la vocation d’Israël, et annonçant ce qui s’est réalisé dans le Christ. Il a été une pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs. Il a été une pierre d’achoppement car elle a provoqué l’incompréhension, puis l’hostilité et la colère des contemporains de Jésus qui ont réclamé sa crucifixion. Mais il a été une pierre précieuse aux yeux de Dieu, choisie par lui comme pierre d’angle sur laquelle repose le nouvel édifice qu’est l’Eglise. Temple spirituel signe d’une maison commune destinée à la cohabitation de Dieu avec l’humanité réconciliée.
Dans son Évangile, saint Jean nous parle de la difficulté qu’ont connue les disciples à associer leur foi en Dieu et leur foi en Jésus. Une difficulté toujours actuelle. Quelles que soient leur culture, leur religion, beaucoup croient en Dieu, mais croire en Dieu fait homme en Jésus de Nazareth, c’est un pas difficile à franchir. Écoutons les questions de Thomas et de Philippe ainsi que les réponses de Jésus.
Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ;
sinon, vous aurais-je dit : “Je pars vous préparer une place” ?
Quand je serai parti vous préparer une place,
je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.
Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
personne ne va vers le Père sans passer par moi.
Jésus n’emploie pas dans ce passage le mot Dieu. Déjà le premier Testament parlait de lui comme Dieu de l’alliance, père, époux, berger de son peuple. Jésus va plus loin et appelle Dieu « son » Père. Il ajoutera aussi mon Père et votre Père, car il se révèle lui-même à Thomas comme un passeur, celui par qui nous pouvons passer vers le Père, nous considérer comme ses enfants. C’est alors que le dialogue bascule. Jésus s’affirme comme non seulement le passeur mais aussi le chemin. Le chemin qu’il est et qu’il a ouvert, la route qu’il a prise pour son existence d’homme, pour faire la volonté du Père, il les ouvre et les propose à ses disciples. Ce qu’il a osé faire, osé dire, en fidélité à la volonté de son Père, la manière dont il a affronté son épreuve, sa propre traversée de la souffrance et de la mort, voilà son chemin. Il demande à chacun, à chacune d’être aussi pour les autres des chemins de vie. On peut appeler cela croire en la résurrection parce qu’on la pratique au jour le jour. Mais en réponse à la question de Philippe, Jésus va plus loin encore.
Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez, et Philippe lui dit :
« Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous,
et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père.
Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ?
Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi !
Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ;
le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres.
Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ;
si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
Amen, amen, je vous le dis :
celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais.
Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père,
Nous pouvons rapprocher l’une de l’autre deux paroles du Christ dans ce texte : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi », et « Qui m’a vu a vu le Père ». La première distingue pour les relier, la foi en l’être de Dieu et la foi en la personne de Jésus. Celui-ci en son humanité, sa parole, ses œuvres, est le chemin de connaissance nouvelle de Dieu, vérité et vie. La seconde, plus forte et neuve encore que la première, emploie le verbe voir et non plus le verbe croire. Le Père se donne à voir en la personne humaine de Jésus. « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». Pas de parole plus forte et neuve que celle-là. « Si vous ne croyez pas ma parole, croyez au moins à cause des œuvres » ajoute-t-il. La parole, on l’écoute, mais les œuvres on les voit, elles sont plus concrètes. Les œuvres de Jésus sont inséparables de sa parole. Pour lui, agir c’est aussi parler et parler c’est agir. Il est théologien, pourrait-on dire, en ce qu’il fait tout autant qu’en ce qu’il dit. En lui ses amis et tous ceux qu’il a guéris, relevés, consolés, à qui il a pardonné, « ont vu les pas de Dieu croiser les pas des hommes. »
Désormais, voir Dieu, croire en lui, c’est consentir à le voir en l’humanité de Jésus, et de ce fait en l’humanité de tout être humain en qui il demeure, en qui il peine, souffre, se réjouit, a faim et soif. « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; c’est le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, qui l’a fait connaître. » (Jn 1, 18) C’est aussi œuvrer comme lui. Cette re-connaissance de l’homme Jésus comme fils du Père, se prolonge pour et par tous ceux qui croient lui et accomplissent les mêmes œuvres que lui. Une courte phrase attribuée à Jésus et transmise ensuite oralement dans l’Eglise exprime merveilleusement ce fondement de la foi chrétienne : « Tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu.»
Informations supplémentaires
Évangile selon saint Jean - Jn 14, 1-12
SOURCE: www.diocese-quimper.fr